Le gouvernement va créer un holding chapeautant France Télévisions, Radio France, l’INA et France Médias Monde. Calendrier, gouvernance, il tente de mettre en place un système qui le prémunisse de toute critique.
Par Sandrine Cassini Publié le 7 octobre 2019
Officiellement, le calendrier choisi pour créer en 2021 France Médias, cette « BBC à la française », qui doit réunir France Télévisions, Radio France, l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et France Médias Monde n’a pas été décidé en fonction de l’élection présidentielle de 2022.
« Cela n’a rien à voir », a assuré, vendredi 4 octobre, Franck Riester. Le ministre de la culture livrait, lors d’une rencontre avec la presse, les derniers détails de l’avant-projet de loi audiovisuel, qui passera en conseil des ministres fin novembre, avant un examen au Parlement en janvier.
Riester fait tout pour éviter que la réforme de l’audiovisuel public, partie la plus délicate du projet de loi, prenne une tournure politique et ne ressemble à une reprise en main. Sa crainte : être accusé d’instrumentaliser France Télévisions et Radio France en pleine campagne présidentielle.
Le fonctionnement de France Médias se rapprochera donc d’une entreprise classique s’éloignant – sur le papier – du pouvoir en place. Un conseil d’administration de onze membres élira un président. « Nous avons verrouillé [ce conseil] afin que l’Etat soit minoritaire », a martelé le ministre de la culture. De fait, sur ses onze membres, trois seulement représenteront l’Etat, a-t-il insisté. Un administrateur viendra de Bercy, puis – c’est en cours d’arbitrage – deux autres pourront être issus du ministère de la culture et des affaires étrangères.
Premier conseil d’administration nommé début 2021
En réalité, l’Etat nommera également « deux personnalités indépendantes ». Ce qui fait passer son poids à cinq membres. « Ces personnalités n’auront aucun compte à rendre à personne. Ce que nous faisons est conforme à ce qu’il se passe ailleurs », a rétorqué le ministre, balayant toute critique sur la mainmise de la tutelle sur France Médias.
Le premier conseil d’administration sera nommé tout début 2021 et choisira dans la foulée son président. Sa mission : « Définir à l’ère numérique la stratégie du groupe public, assurer les missions de l’audiovisuel public et optimiser les fonctions supports », a précisé M. Riester. Il aura le pouvoir de répartir les 3,7 milliards d’euros annuels de contribution à l’audiovisuel public entre les différentes entités publiques, une mission qui échoit aujourd’hui à l’Etat.
Il tranchera également les conflits entre les filiales. Il s’agit, par exemple, d’éviter qu’un projet comme le rapprochement des matinales de France Bleu et France 3 ne patine.
Le pouvoir du futur patron de France Médias sera donc central. Déjà les noms de candidats potentiels circulent. De Jean-Paul Philippot, le patron de la RTBF, à Christopher Baldelli, l’ancien patron de RTL, en passant par Denis Olivennes, président de CMI France (Marianne, Elle… propriété de Daniel Kretinsky, actionnaire indirect du Monde). Une telle fonction pourrait-elle intéresser l’actuelle patronne de Radio France, Sibyle Veil ? « Pour ce type de poste, nous n’empêchons pas les présidents en poste de se présenter », s’est contenté d’indiquer Franck Riester.
Le président de France Médias choisira également les patrons de ses quatre filiales. Mais pas avant le 1er janvier 2023. Pourquoi si tard ? « Nous ne voulions pas qu’il y ait de précipitation. Ceux qui sont le plus à même de suivre le plan de 2022 sont ceux qui en sont responsables », a indiqué le ministre, se référant au plan d’économies sur quatre ans demandé par sa prédécesseur, Françoise Nyssen, aux groupes de l’audiovisuel public.
« Aucune fonction éditoriale »
« Ce calendrier arrange tout le monde. Qu’est-ce qu’on aurait dit, si on avait eu l’air de placer à la tête de Radio France et de France Télévisions des copains au moment des élections ? », reconnaît une source gouvernementale. Pour se prémunir de tout soupçon d’ingérence, le gouvernement a même logé la responsabilité des contenus dans les filiales, et non dans la société mère. Le président de France Médias n’aura « aucune fonction éditoriale », a expliqué Franck Riester.
Incongruité du calendrier, c’est donc, comme le veut le système actuel, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui sera chargé de relancer, au printemps 2020, la procédure de nomination du patron de France Télévisions, le mandat de Delphine Ernotte arrivant à échéance en août 2020.
Le poste sera moins bien attractif qu’aujourd’hui. Tout d’abord, le mandat sera ramené de cinq ans à deux ans et demi. En outre, dès 2021, le pouvoir du prochain patron de la télévision publique se verra réduit sous l’effet de la nomination du premier président de holding en 2021. Dans ces conditions, qui postulera ?
Même si à ce stade Delphine Ernotte ne dévoile officiellement pas ses ambitions, l’actuelle présidente, qui a présenté pour France Télévisions une stratégie pour 2022, aurait envie de rempiler. Ce qui devrait annihiler ses chances pour briguer l’année suivante le poste de président du holding. « Il n’y a pas d’incompatibilité, mais cela paraît bizarre de se présenter aux deux », observe une source gouvernementale.