INTERVIEW EXCLUSIVE – Le ministre de la Culture dévoile la réforme de l’audiovisuel public. Une holding baptisée France Médias va être créée pour piloter France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA.
Une holding baptisée France Médias sera créée début 2021. Elle aura pour mission de piloter France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA. Son président sera désigné par le conseil d’administration dans lequel l’État sera minoritaire. Arte France et TV5 Monde conserveront leur actionnariat actuel.
LE FIGARO.- Vous présentez aujourd’hui la réforme de l’audiovisuel public. Quelles sont vos ambitions?
Franck RIESTER. – Je veux d’abord rappeler les objectifs d’un projet de loi qui modifie en profondeur la loi relative à la liberté de communication (loi de 1986), rendue en grande partie obsolète par la révolution numérique et l’évolution des usages. Ce projet qui vise à réaffirmer notre souveraineté culturelle porte une double ambition. Une ambition de dynamisme culturel d’une part, afin de permettre le développement de la diversité, de la créativité, et le rayonnement de l’audiovisuel et du cinéma ainsi que la promotion de champions français de l’audiovisuel publics ou privés, gratuits ou payants. Une ambition sociétale et citoyenne également, afin de protéger nos concitoyens de certains excès du numérique et de leur offrir à tous, urbains ou ruraux, de l’hexagone ou de d’outre-mer, de tous les âges et de tous les milieux, un service plus proche et d’encore meilleure qualité.
Nous avons pour dessein de créer un audiovisuel public puissant, capable d’affirmer ses missions dans l’éducation, l’information, la culture les programmes de proximité et l’action extérieure. Il portera ces ambitions à la fois au niveau local, national et international ainsi que sur tous les médias: télé, radio et Internet. Dans un monde marqué par la convergence des médias et l’évolution rapide des usages, les Français ont plus que jamais besoin d’un audiovisuel public qui unit toutes ses forces pour leur offrir un service accessible, ambitieux et adapté à la diversité de leurs besoins.
Concrètement, allez-vous créer une holding?
Oui. Le projet de loi que je porte prévoit la création d’une société mère à la tête d’un groupe baptisé France Médias. La société mère détiendra 100 % du capital des sociétés filles: France Télévisions, Radio France, France Média Monde et l’INA. Arte France et TV5 Monde participeront à cette dynamique en conservant leur actionnariat et leurs gouvernances actuels.
Comment assurer l’indépendance de cette holding vis-à-vis de l’État?
France Médias disposera d’un conseil d’administration où l’État n’aura pas la majorité des sièges. Sur les 12 membres de ce conseil d’administration, trois seront des représentants de l’État et six des personnalités qualifiées et indépendantes (deux nommées par le Parlement, deux proposées par l’État après avis conforme du CSA et deux désignées par le conseil d’administration lui-même, au regard de leur expertise et après avis conforme du CSA). Il y aura également deux représentants des salariés.
C’est le conseil d’administration qui aura le pouvoir de choisir sa ou son président qui sera le dirigeant exécutif de France Médias. Ce choix devra ensuite être validé par un avis conforme du CSA et la personne proposée devra être auditionnée par les commissions culture du Parlement qui disposeront d’un droit de véto au 3/5e des voix.
Est-ce le meilleur moyen?
Ces dernières années, les différents gouvernements ont expérimenté le choix direct par l’exécutif, puis par le CSA. Et aucun de ces deux modes de désignation ne s’est révélé satisfaisant. À l’étranger, pratiquement tous les patrons de l’audiovisuel public sont nommés par leur conseil d’administration. Je pense que c‘est le meilleur système pour garantir la nomination d’un président compétent et indépendant. Le Président de la République nommera in fine la personne qui aura été choisie par le CA et qui aura été approuvée par le CSA et le Parlement. Ce mode de nomination est une vraie innovation, beaucoup plus protectrice de l’indépendance de l’audiovisuel public.
Quid de la nomination des directeurs généraux des filiales?
Les quatre filiales disposeront de leur propre conseil d’administration composé de 10 membres, dont le Président de France Médias, le directeur général, deux représentants de l’État, quatre personnalités qualifiées (deux désignés par la société mère et deux par le parlement) et deux représentants des salariés. Ce conseil nommera le directeur général après avis conforme du CSA.
Quelle sera la répartition des rôles entre la holding et ses filiales?
France Médias aura un rôle stratégique d’impulsion et de coordination. Cette société-mère arbitrera les moyens financiers alloués aux différentes filiales de premier rang et les incitera à bâtir des coopérations éditoriales fortes notamment sur l’information et l’offre de programmes. Le but de cette société-mère est de favoriser les nouvelles offres en optimisant les moyens dans des domaines comme la formation, l’informatique, la régie publicitaire, l’immobilier. De leurs côtés, les directeurs généraux des filiales auront une fonction de direction exécutive des sociétés et de directeur de la publication.
La loi va instaurer une période de transition pour permettre la mise en place sereine de ce schéma. France Médias devrait être créée au 1er janvier 2021, et elle reprendra la trajectoire financière décidée en 2018. Les 190 millions d’euros d’économies demandés à l’ensemble de l’audiovisuel public pour la période 2018-2022 et leur répartition ne sont pas remis en cause. Chaque filiale poursuivra sa transformation avec le plan de financement arrêté jusqu’à cette date.
Le mandat de la présidente de France Télévisions se termine en août 2020. Delphine Ernotte sera-t-elle prolongée?
La nouvelle loi audiovisuelle sera discutée au Parlement en procédure accélérée à partir de janvier 2020. Elle ne sera donc pas promulguée avant le lancement de la procédure de désignation du PDG de France Télévisions par le CSA. Donc, ce dernier devra appliquer la loi actuelle et lancer au printemps 2020 son processus de désignation, mais pour un mandat qui se terminera fin 2022 avec la mise en place définitive de la nouvelle organisation. Nous avons également décidé d’aligner les mandats des dirigeants de Radio France, de l’INA et de France Média Monde à fin 2022.
Allez-vous pérenniser le financement de l’audiovisuel public en réformant la redevance?
Le gouvernement a la volonté de maintenir l’actuelle contribution à l’audiovisuel public jusqu’à la disparition de la taxe d’habitation prévue pour 2022. À cette date, la contribution sera remplacée par un nouveau mode de financement affecté à l’audiovisuel public qui lui garantira un financement pérenne. Quant à la suppression de la publicité, nous ne l’envisageons pas.
La redevance va baisser en 2020. Et après?
Le gouvernement a pour ambition de mieux gérer l’argent public et de baisser la pression fiscale de nos concitoyens. Pour 2020, les simulations ont fait apparaître que le rendement de la redevance serait supérieur au besoin de financement défini pour la période 2018-2022. Nous avons donc décidé de baisser la redevance d’un euro. Et chaque année nous adapterons ce montant au besoin de financement.
Où en est la fusion entre le CSA et l’Hadopi?
Dans tout le dispositif mis en place par la future loi pour adapter notre audiovisuel privé et public à l’ère du numérique et créer des champions nationaux, la lutte contre le piratage est un point très important. J’ai été rapporteur de la loi Hadopi et je reste mobilisé sur la lutte contre le piratage qui vient piller la création et affaiblit nos acteurs. Nous avons décidé de fusionner le CSA et l’Hadopi au sein d’une nouvelle autorité indépendante baptisée «ARCOM» (l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique). Cette autorité disposera de nouveaux pouvoirs attribués par la loi récemment adoptée pour lutter contre les infox et la loi Avia contre les propos haineux en ligne prochainement discutée au Sénat. Elle disposera aussi de nouveaux moyens juridiques pour renforcer la lutte contre les sites illicites. Enfin, grâce à des membres croisés entre les collèges de l’ARCOM et de l’ARCEP, nos autorités pourront plus facilement résoudre les différends concernant qui les concernent toutes les deux qui peuvent par exemple surgir entre les diffuseurs et les opérateurs télécoms, sur la reprise du signal mais aussi peut-être demain sur le partage des données pour la mise en place de la publicité segmentée.