Régionalisation

La proximité est sans aucun doute l’avenir des médias. La crise sanitaire a révélé que l’audience est à la recherche de médias plus proches d’elle et France Télévisions dispose d’un maillage exceptionnel de notre territoire. Le déploiement des offres régionales doit être un impératif à condition de s’appuyer sur les moyens correspondants et de développer une réelle autonomie éditoriale.

France Télévisions envisage de créer 13 chaînes locales en lieu et place du réseau actuel, 13 chaînes régionales et ultra locales avec des décrochages nationaux et non plus une chaîne nationale avec des décrochages régionaux. L’idée serait de créer un « média global » mêlant télévision, radio et numérique.

En clair, les treize Directions régionales de France 3 sont appelées à augmenter leurs programmes régionaux en proposant de nouvelles cases, comme « le 18h30», dans leur grille de programmes.

La logique quantitative s’impose donc sur le qualitatif, car dans de nombreuses rédactions cette nouvelle case va se heurter aux moyens insuffisants, risquant ainsi de donner aux salariés concernés le sentiment que leur travail n’a pas d’autre utilité que de fournir du contenu sans valeur ajoutée.

Et pour alimenter cette tranche ? Les personnels seront « prélevés » sur l’existant, autrement dit sans moyens supplémentaires. On a pu lire ici et là que chaque région avancera à son rythme dans la régionalisation, l’idée étant que le nouveau modèle soit totalement « rôdé » en 2022.  Il s’inspirera des chaînes ViaStella ou encore NoA, et s’appuiera sur des « synergies » avec le réseau de France Bleu. Actuellement, les matinales de la radio sont diffusées dans 6 régions ; l’ensemble des 44 stations du réseau sera concerné d’ici 2022.

On ne pourrait que se réjouir d’une telle ambition pour les salariés du groupe. Cette nouvelle stratégie, ce nouveau projet pour France 3 (coût 900 millions d’euros) veut notamment contrer l’offensive de BFM TV dans les grandes métropoles (création à terme de 22 chaînes locales). L’idée de donner un nouveau souffle, une nouvelle identité à France 3 est séduisante et porteuse.

L’ambition affichée se heurte toutefois à la réalité du terrain avec des effectifs à flux tendus en raison, entre autres, du non remplacement des départs liés à la RCC, sans parler de l’absence de moyens nouveaux. Sur la question du manque d’effectifs, la Direction estime que « l’on peut dégager des moyens grâce aux nouvelles pratiques, nouvelles technologies, à des modes d’organisation différents ».

Une sorte de miracle technologique qui permettrait de se passer du savoir-faire humain. Voilà qui est rassurant en terme de projet d’entreprise !

Certes, nos méthodes de travail doivent constamment évoluer mais ce type d’argument est en décalage avec la réalité, une réalité qui ne devrait pourtant pas échapper à la direction. A défaut, les objectifs inatteignables, les conditions de travail dégradées, la démotivation ou encore le désengagement viendront remplir une coupe déjà bien pleine.

Certaines régions ont déjà beaucoup de difficultés à fabriquer les 14 minutes supplémentaires de septembre 2019, on peut se demander comment elles vont pouvoir assurer le « 18h30 » ; et que dire alors, lorsqu’il faudra produire pour une chaîne de plein exercice ? Comment devenir un média global  quand le numérique ne bénéficie pas de moyens pour pleinement se déployer ?

L’augmentation du volume des programmes ne doit pas se faire dans la précipitation pour répondre aux injonctions d’un Etat-actionnaire qui exige plus de programmes régionaux, ceci dans un contexte de contrainte budgétaire de plus en plus difficile à supporter.

Le chantier des matinales communes n’est pas encore abouti et certains regrettent déjà que cela ne s’apparente qu’à de la radio filmée, le bilan de la chaîne NoA n’est quant à lui pas complètement tiré. Transformer France 3 en un réseau de 13 offres 100% régionales, en partenariat avec France Bleu et en s’alliant avec la PQR et les chaînes locales, ne peut se faire sans un questionnement fondamental sur l’autonomie éditoriale. Ainsi, que dire de l’indépendance vis-à-vis des collectivités territoriales, dont on sait qu’elles seront partie prenante du projet ? Quel impact sur l’autonomie des rédactions de ces 13 chaînes ; comment réaliser un reportage quand le financeur est invité à s’exprimer devant le micro ?

Toutes ces questions doivent être clairement posées pour répondre aux exigences du public, au risque de le voir se détourner de notre offre. La régionalisation au rabais ne saurait être un projet sérieux pour une grande entreprise européenne de l’audiovisuel public.