La tentative de suicide d’une journaliste à France 3 Grenoble, le 9 avril, quelques semaines seulement après celle d’une salariée de France 3 Orléans ébranle les rédactions régionales de France Télévisions qui dénoncent un management « à la France Télécom ».
Par Anne Sogno
Publié le 15 avril 2019 à 11h37
Mercredi 10 avril, les salariés des antennes de Lyon et de Clermont-Ferrand regroupées avec celle de Grenoble au sein de la direction régionale Auvergne-Rhône-Alpes de France 3, ont appris par un communiqué de la direction les faits dramatiques survenus à Grenoble. Mardi, en fin de journée, une journaliste en CDI, mère de deux enfants a tenté de mettre fin à ses jours en absorbant des médicaments sur le parking des locaux de France 3 Grenoble.
Selon ses collègues, la journaliste, élue de proximité auprès de l’inspection du travail, de la CSSCT du CSE du réseau régional ou de la cellule anti-harcèlement, qui avait dénoncé des faits de harcèlement moral sur des salariés, s’est retrouvée à son tour victime du harceleur présumé. Elle avait alerté la direction et demandé une intervention, en vain.
Harcèlement moral
Après une réunion préalable au CSE (Comité social économique) extraordinaire du réseau régional, le Syndicat national des journalistes (SNJ) réuni le 11 avril à Paris a publié un communiqué dénonçant la maladresse de la direction régionale qui a « jeté en pâture » le nom de la salariée « sans qu’aucun élément de compréhension ne soit indiqué ». Le SNJ s’indigne également des propos tenus par la direction de Grenoble qui voudrait « ramener l’origine de ces faits à un différend entre salariés et à la soi-disant fragilité de celle qui a commis ce geste ».
Le SNJ constate que « depuis plusieurs semaines, de nombreuses alertes de cette élue n’ont pas été entendues par la direction » et que « les courriers adressés par le SNJ à la direction du réseau régional et à la présidence de France télévisions sont restés sans réponse ».
Pression sur les salariés
Pour un délégué syndical de l’antenne des Alpes (Isère, Savoie et Haute-Savoie) joint par l’Obs et qui préfère garder l’anonymat (comme toutes les autres personnes contactées), il s’agit clairement de faits de « harcèlement moral non reconnu par la direction qui font suite à de nombreuses situations non arbitrées qui s’accumulent et finissent par dégénérer ». « Après la tentative de suicide d’une salariée de l’antenne d’Orléans, le 12 février, les faits de harcèlement sexuels à « franceinfo: » révélés dernièrement et la tentative de suicide de notre collègue à Grenoble, la tension est à son comble dans les antennes régionales comme à France Télévisions ».
A Toulouse, Grenoble ou Orléans, les élus de proximité joints par l’Obs s’accordent sur la même analyse de la situation : le plan de recomposition prévu par France Télévisions prévoit le départ de 1 000 salariés avant 2022, l’embauche de jeunes sur le numérique et la fusion des métiers : en plus de leur spécialité (son, images etc.) les journalistes devront faire du montage et devenir des techniciens de régie. Cette recomposition de l’entreprise accentue la pression sur les salariés et leur fait craindre de perdre leur emploi ou pour ceux qui resteront, une surcharge de travail.
Le syndrome « France Télécom »
« Les cadres intermédiaires sont les premiers à trinquer. Les antennes régionales ont de plus en plus de mal à recruter des cadres journalistes qu’on ne forme pas au management et qui risquent à un moment ou à un autre, sous la pression de la direction, de déraper » précise l’un d’entre eux. « France Télévisions est une boîte tentaculaire où les cas de maltraitance au travail locaux restent sous cloche ; on ne nomme pas les choses. Il n’y a qu’à voir le mail adressé le 10 avril par le directeur régional, André Faucon : il parle de « geste grave » au sujet de la tentative de suicide de notre collègue. Ce malaise est la conséquence directe de la gestion humaine au plan national qui rappelle malheureusement le management de France Telecom dont on connaît les conséquences tragiques… » (l’entreprise « France Télécom »devenue « Orange » par la suite, avait été touchée par une vague de suicides en 2008 et 2009, N.D.L.R.).
Contactée par l’Obs, la directrice des ressources humaines pour la région « Auvergne-Rhône-Alpes » n’a pas souhaité « commenter l’événement » survenu à Grenoble et la direction nationale des ressources humaines pour France Télévisions à Paris est restée injoignable.